Alors que le soleil descend petit à petit et que les pavés commencent à être glissants, quelques ombres se massent autour du piquet jaune fluo du village. Les minutes passent, et le petit rassemblement se transforme très vite en foule. Il est 17h passé, l’école comme le collège ou l’unif ont fermé leurs portes,  chacun.e a pu rentrer chez soi déposer son sac pour se rendre au rendez-vous quotidien. Des grandes sœurs et des petits frères s’y côtoient, quelques canettes s’ouvrent, on est parti jusqu’à l’heure du souper. Voire bien plus tard pour les plus âgés du groupe. Alors qu’il était vide durant la journée, l’abribus devient, pour quelques heures, l’endroit le plus animé du village.

Cette scène, on la retrouvait il y a une dizaine d’années dans certaines communes. Elle se déroule toujours aujourd’hui dans de nombreuses d’entre elles. L’abribus est parfois remplacé par un banc, un parvis ou un bout de verdure, mais l’idée est bien là : le temps d’un soir, les jeunes du coin se retrouvent pour traînailler, discutailler, festoyer. Dans notre commune par contre, toute activité semblable a totalement disparu (ou n’a jamais existé, je suis trop jeune pour connaître la situation d’avant 2000).

Chaque fois que je passe devant ces panneaux jaunes trônant fièrement aux bords des routes, je ne peux m’empêcher d’y penser. Où sont les jeunes, à Lasne ? Car derrière cette histoire romancée pouvant paraître anecdotique, se cache un véritable impensé de notre commune. Que ce soit des lieux de rencontre adaptés, des activités, des festivités ou encore des facilités de mobilité, rien n’est mis en place pour permettre à la jeunesse de se rencontrer, de créer des liens, et au fond, de participer de manière active et solidaire à la vie de la commune. Les plus chanceux.euses auront leur cours hebdomadaire à Odrimont ou au Rulo, et celles et ceux ne pouvant pas se l’offrir peuvent passer leur chemin. Les scout.e.s pourront compter sur leur troupe et leurs activités, mais rien au-delà. Pour aller boire un verre dans l’un des rares bars et rentrer, il faut compter sur la bonté de ses parents ou de leur portefeuille pour commander un SAM Drive. Et de toute façon, à quoi ça servirait de créer des relations sur la commune ? À 18 ans, la plupart la quitteront pour Bruxelles ou Louvain-la-Neuve, tant un logement à Lasne est inabordable (rappelons ici que la commune possède moins de 1% de logements publics – et donc accessibles – alors qu’elle devrait arriver à 10% selon un décret wallon).

Mais pourquoi ce phénomène ? Est-ce que les jeunes de Lasne sont des êtres asociaux et casaniers ? Je ne pense pas. Est-ce qu’il nous manque des arrêts de bus pour s’y retrouver ? Il y en a quelques-uns. Est-ce que trop de quartiers de la commune sont isolés géographiquement ? Oui, sûrement.  Est-ce qu’il y a une volonté, parfois des politiques, parfois de certain.e.s résident.e.s, de faire en sorte que la commune soit la plus calme et la moins sociable possible ? Peut-être. En témoigne récemment par exemple la difficulté d’installer dans la commune un skatepark, car cela causerait des nuisances et… des rassemblements. Pourtant, certaines communes avoisinantes ont fait le pari de créer ces endroits de rencontre, et ça marche très bien. On pourrait citer le Quatre Quart à Court-Saint-Étienne, un café et centre d’activités citoyens dans l’ancienne gare vicinale, ou encore le Monty à Genappe qui combine salle de spectacle, repair café, épicerie collaborative et cinéma. Du côté de Lasne, on prévoit dans l’ancienne gare de Maransart… des locaux pour des expositions. Hum.

Créer du lien et des espaces de communauté est une chose complexe et multidimensionnelle. Cela nécessite un travail sur la mobilité, sur l’aménagement, sur l’offre commerciale et de restauration, sur la culture, sur le logement, et ça ne se fait pas en un jour. Mais je crois profondément que face aux différentes crises que nous vivons et que nous allons vivre, développer la citoyenneté, la solidarité, les amitiés et les rassemblements sont essentiels, d’autant plus pour les jeunes. Leur permettre de se rencontrer, c’est créer un tissu social fort pour Lasne qui durera dans le temps et qui ne pourra que la magnifier. C’est créer une génération qui s’engagera pour sa commune, ses habitants, sa nature. À quoi bon aménager nos sentiers et nos rues si l’on ne s’y rencontre pas ? Alors ensemble, travaillons à rendre Lasne plus chaleureuse et plus festive, plus vivante et plus inclusive. Et de là émergera peut-être la révolte des abribus.